La « chanson n*gre » de Jean Jacques Rousseau

Nous le savons, « Lisette quitté la Plaine » est l’une des œuvres témoins de la pugnacité de l’art dans la société mécanique et suppliciante de Saint-Domingue. Le plus ancien poème connu du créole haïtien, de toute évidence, vulgarisé vers 1754. Jérôme Duvivier de la Mahautière, Conseiller au Conseil du Port-au-Prince, en a l’attribut de l’auteur. Ce texte, elle a une histoire. Et elle nous amène jusqu’à Jean Jacques Rousseau (1712-1778), écrivain, philosophe et musicien genevois francophone.

«Lisette quitté la Plaine » est un vaudeville, poème chanté sur un air connu visant à divertir le tout-venant. Comme nous groupes rara et bandes à pieds le font à la période pascale et carnavalesque, avec des compositions populaires de l’heure. Alors ce vaudeville de Mahautière tient son origine de la scène 11 de Devin du village ‒ petit opéra à succès de Jean-Jacques Rousseau en France ‒ intitulée «Dans ma cabane obscure ». Une sorte de complainte. D’où l’accommodation de la mélodie, sachant que « Lisette quitté la Plaine » exprime la tristesse et le spleen d’un amoureux séparé de son amoureuse.

Comme si le destin en a fait le serment que cela doit arriver, quelques semaines avant sa mort, Rousseau prend connaissance de l’existence de « Lisette quitté la Plaine » par le biais du Chevalier de Flamanville, jeune officier qui fréquentait les troupes de Saint-Domingue. Le philosophe-compositeur n’en est point déçu. Au contraire, il décide sur le champ de perfectionner le vaudeville. C’est ainsi qu’il se résout à composer une mélodie sur mesure pour « Lisette quitté la Plaine », une mélodie encore plus susceptible à exprimer l’âme du poème.

Cette nouvelle composition, Rousseau le titre « Chanson n*gre ». Elle est publiée en 1781, dans un recueil posthume de mélodies accompagnées, Consolations des misères de ma vie, composées par Jean-Jacques Rousseau. Ce qui tient lieu de la publication officielle de « Lisette quitté la Plaine ».

@ Dauphin, Claude. Histoire du style musical d’Haïti, 2014.

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