| Anecdote, Musique

Pourquoi Coupé Cloué n’a jamais joué avec des instruments à vent ?

En 1957, Gesner Henry fonda Trio Crystal. Plus tard, Trio Crystal devint Trio Select, avec Coupé Cloué lui-même comme guitariste, un deuxième guitariste et un joueur de « Tchat-tcha ». Après cinq albums, le groupe est renommé « Ensemble Select Coupé Cloué », renforcé par de nouveaux musiciens. Une manière, de toute évidence, d’adapter le nom du groupe à son effectif. D’années en années, l’Ensemble Select s’est acquis une originalité musicale, grâce à un alliage de Troubadour, de jazz, de rythmes folkloriques, entre autre, qu’on appela Compas Mamba.

Ce rythme singulier, il allait s’encastrer dans la grande famille du Compas, avec le Compas Direct de Nemours Jean-Baptiste comme figure patriarcale. Outre sa singularité rythmique, le Compas Mamba s’est distingué avec sa composition instrumentale particulière. Puisque, remarquablement, Gesner Henry n’intégra jamais les principaux instruments à vent ‒ à savoir saxe, trompette, trombone ‒ dans le groupe. Ce qui parait plutôt étonnant, lorsqu’on imagine qu’il s’agit d’une époque où les Orchestres et les Ensembles, marqués par leur ligne d’instruments à vent impeccable, et aussi les mini-jazz emmenés principalement par des maestros-saxophones, dominaient la musique haïtienneé.

Il est vrai que dans ce format on retrouve notamment l’Afro Combo de Boston de Ti Chris (Yves Chrisostome Bazile), et aussi Deutz d’Haïti de Jacko Duroseau, mais dans le cas de l’Ensemble Select Coupé Cloué, il s’agit d’une décision derrière laquelle il se cache une petite histoire que nous a raconté Maritou Chenet, témoin oculaire, l’un des principaux personnages de l’histoire.

C’était au tout début des années 70. Bizarrement, l’Ensemble Select ne vivait pas sa période, devancé surtout par les mini-jazz. Les petits jeunots des mini-jazz troublaient le sommeil de Gesner Henry, chanteur et maestro du groupe. Alors à la quête d’un déclic, il envisagea d’inclure un saxophone dans le groupe. Avec l’objectif d’adopter le style de Les Shleu-Shleu, qui à l’époque menait la danse. Notamment, avec Anthony Moïse au saxe qui faisait rêver. Dans cette optique, en pleine journée, Gesner débarqua à La Boîte à Musique ‒ à l’angle des rues Pavé et Monseigneur Guilloux ‒ dans l’objectif de se procurer de l’instrument en question. Mais à sa stupéfaction, Raoul Denis, père de Raoul Denis Junior de DP Express, qui était en fait le patron de la boîte, s’y opposa et ordonna à la gérante, Maritou Chenet, de ne pas faire affaires avec lui.

« Comment Maritou ?! N’est-ce pas j’ai entendu Raoul dire de ne pas me vendre le saxophone ? » s’enquit Gesner.

« Exactement ! rétorqua Maritou. Pas question qu’on te laisse rejeter ton style si original au profit de celui des Shleu-Shleu » poursuivit-elle.

La suite, on aurait pu l’imaginer plutôt conflictuelle ? Non ! Ce fut tout le contraire. Fort probablement, d’un côté, le fait que Maritou était léoganaise comme Gesner, il y avait un esprit de familiarité. D’un autre côté, les fines connaissances de Raoul Denis de la musique légitimaient son point de vue. C’est ainsi qu’à la fin de cette petite résistance allocutive de la part de Maritou, coachée par Raoul Denis, Gesner repartit avec un instrument de loin plus important que le saxophone : la confiance.

Plus tard, ce regain de confiance allait porter fruit. D’un côté, il allait permettre à l’Ensemble Select de se faire une place aux côtés de l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste, la Tropicana et le Tabou Combo pour former le quatuor commandé par l’Orchestre Septentrional, des groupes les plus prolifiques de toute l’histoire de la musique haïtienne,  avec une trentaine d’albums environ. D’un autre côté, il emmena Coupé Cloué aux pays de ses ancêtres, après qu’un président africain, Mobutu Sese Seko de la République du Congo, paraît-il, vers 1975, aurait trouvé sa réélection conditionnée par le peuple à la venue du groupe dans le pays. Une aventure qui toucha le style vestimentaire du groupe se popularisa le port du « boubou ».

Aujourd’hui, tout comme il nous faut être reconnaissant envers Gesner Henry et sa clique pour l’héritage du « Compas Mamba », Maritou Chenet et Raoul Denis en méritent autant de l’avoir tiré du péril à un moment crucial où Gesner faisait une crise sévère de confiance.

Malheureusement en 1998, Gesner disparut, et l’Ensemble Select Coupé Cloué est automatiquement dissolu. Par la suite, l’héritage du Compas Mamba allait tantôt être réclamé par Toto Nécessité et son groupe Combite Créole, tantôt par Coupé Cloué Junior. Nonobstant, personne jusque-là n’a pu correctement tenir le flambeau du style musical « Compas Mamba », dont l’originalité reste à la conserve d’une momie égyptienne. Sinon, les groupes musicaux de toute tendance ne cesseront jamais d’interpréter ‒ même approximativement ‒ ses différentes compositions.

 

Comments are closed.