| Histoire

À Saint-Domingue, cette femme qui tuait des enfants pour éviter qu’ils deviennent esclaves

Nos ancêtres ont connu l’enfer ici-bas. C’était à Saint-Domingue et pendant la traversée de l’Atlantique. Cette colonie autrefois au surnom de Perles des Antilles qu’on entend, bizarrement, des haïtiens en exprimer la nostalgie.

L’atrocité était tellement intense que pour s’en libérer, les esclaves se confiaient à des actes suicidaires : ils se pendaient, se tranchaient la gorge, buvaient du poison… Quand on les fouettait, ils se sont étouffés en avalant leur langue, en absorbant de la terre ou du salpêtre. C’était devenu tellement familier dans la colonie, qu’un proverbe en a pris corps : « Ibos pend’cor a yo », ce qui veut dire « Les Ibos se pendent ».

Faut-il comprendre qu’avec le suicide, il ne s’agissait pas sur toute la ligne de se condamner à la mort. Les Bossales, c’est-à-dire les Africains fraichement arrivés dans la colonie ‒ c’était eux qui se suicidaient le plus ‒ avaient encore leur croyance africaine qui avait le dogme de la métempsycose. C’est-à-dire qu’ils avaient la certitude que leur âme allait repartir vivre dans leur tribu africaine dans un corps nouveau. Une possibilité de délivrance, extrême, oui, mais un dernier recours sûr.

Mais, tout le monde n’avait pas la capacité de profiter de ce recours. Les enfants nouveau-nés notamment. Ils sautaient du sein de leur mère, criaient sans doute de joie et d’émotion de faire connaissance d’un nouveau monde. Un monde où ils seront libres, au lieu de s’accroupir en l’espace d’un utérus. Un monde où ils ne dépendront pas que d’un cordon. Ils ne savaient pas qu’ils venaient d’atterrir en enfer, comme des naïfs touristes explorateurs se croyant mettre les pieds sur l’Ile de la Tortue, alors qu’ils sont sur l’Ile aux Serpents.

Très souvent, il y avait une femme qui assistait à des pareilles scènes, puisqu’elle était sage-femme, une femme arada. Elle voyait la joie, l’innocence, des anges et l’enfer. C’était le crève-cœur. Alors appuyant l’épaule contre la foi en la métempsycose, elle les renvoyait avant leur cri d’innocence ne devienne de détresse. Elle tuait les nouveau-nés.

Lorsqu’on l’a finalement capturée, elle a témoigné sa méthode chirurgicale et de désespoir :

« Pour enlever ces jeunes êtres à un honteux esclavage, je plongeais à l’instant de leur naissance une épingle dans leur cerveau par la fontanelle : de là le mal de mâchoire, si meurtrier en cette colonie, et dont la cause vous est maintenant connue. »

Ainsi procédait-elle, dans l’espoir que ces pauvres petites âmes, pures, innocentes, allaient trouver la vie qui leur convenait dans les tribus africaines. Au moment de sa capture, elle portait un collier de corde de 70 nœuds dont chacun représentait une petite âme sauvée, à sa manière.

Alors, sauvait-elle ou détruisait-elle la vie ? Certainement pour les colons, elle détruisait, puisque c’était des marchandises qu’ils perdaient. Mais pour nous, songeons à ce vers de Massillon Coicou dans son recueil Complainte d’esclave :

Pourquoi donc suis-je nègre ? Oh ! Pourquoi suis-je noir ?

Lorsque Dieu m’eut jeté dans le sein de ma mère,

Pourquoi le mort jalouse et si prompte au devoir

N’accourut-elle pas l’enlever de la terre ?

 

Cf : Jacques de Cauna, Haïti : L’Éternelle révolution

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